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Département de Géographie

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1.Nantes, transport de marchandises, logistique et territoire


Jean Leveugle

L’île de Nantes est en cours de réalisation. Bien que parfois imprécises, les indications données par la Samoa (Société d’Aménagement de la Métropole Ouest Atlantique) permettent d’appréhender le devenir du sud/sud-ouest de l’île, actuellement occupé par un garage et une plateforme de livraison ferroviaire appartenant aux Réseaux Ferrés de France, et par une zone de logistique, rassemblant des entreprises de gros, d’import/export, d’affrètement et d’organisation des transports, liées au marché d’intérêt national (MIN). Ce dernier se présente comme le deuxième plus gros MIN de France après celui de Rungis, premier marché régional, en contrat du sol jusqu’en 2030 avec Communauté Urbaine de Nantes, rassemblant en tout 100 entreprises et concentrant 1100 emplois sur site. L’ensemble de ces activités représente aujourd’hui un « potentiel de 90 hectares mutables sur le sud-ouest de l’île » (Samoa, 2012) pour les futurs aménagements. Dans les projets sont prévus la disparition de la zone ferrée, actuellement utilisée à bas régime pour du fret et entant que garage, qui verra s’implanter le nouveau CHU dans le futur quartier du Métacentre, un parc métropolitain dans les quartier Finistère, le quartier Sud-Ouest, et une poignée de bureaux. Le MIN et ses entreprises seront aussi déplacés.

Le desserrement logistique

 La zone ferrée de la Gare de l’État sera transférée à l’horizon 2012-2015 du coté de l’ancienne Gare de triage du Grand-Blottereau, dans le quartier de Doulon, soit à l’Est de la ville, le long du périphérique interne (FNAUT, 2011), à environ 5km du centre de Nantes au lieu d’1,7km . Le MIN sera quand à lui transféré à l’horizon 2018 à Rezé, commune au Sud de Nantes vers la zone dite de la Brosse située le long du périphérique extérieur (20Minutes, 2012), soit à 7 km du centre de la ville au lieu de 2km. Du centre, donc, vers la périphérie.

Les recherches sur les emplacements des plateformes logistiques menées en Île de France (Dablanc, Andriankaja, 2011), et la réflexion plus globale sur le transport de marchandise, ont montré une tendance au desserrement des plateformes logistique des centres urbains à la vue d’un foncier grimpant. Cette fuite silencieuse des terminaux de fret hors des centres est généralement la résultante d’un arbitrage d’opérateurs privés : l’activité logistique nécessitant beaucoup d’espace et une accessibilité forte aux voies rapides, la position centrale n’est pas bénéfique : habituellement, il y a peu de foncier disponible, il est cher, et l’accessibilité aux gros axes de communication est réduite. Ce desserrement logistique est responsable d’émissions de dioxyde de carbone relativement conséquentes, du fait de l’augmentation du « dernier kilomètre » de livraison : une fois arrivées sur plate-forme, les marchandises sont livrées par voie routière dans l’agglomération, et généralement par sous-traitance, étant donné la faible rentabilité du dernier kilomètre. Ce sont donc des véhicules en mauvais état et très polluants qui effectuent les livraisons.

Face à l’objectif du Grenelle de l’environnement, ou la part modale des transports non routiers devrait passer de 12% à 25% à l’horizon 2020, les pouvoirs publics s’intéressent de plus en plus au transport de marchandises. Bien que ne constituant fondamentalement pas l’une des missions de services publics (contrairement au transport de personnes), les collectivités commencent à saisir l’importance du traitement des transports de marchandises. Ce ne semble pas avoir été le cas de la ville de Nantes.

Le cas du MIN

Un argument en faveur du déplacement du MIN revient régulièrement : son départ soulagerait le sud de Nantes d’un important flux de camions, et notamment le matin (20Minutes, 2012). La question doit se poser de la manière suivante : qui s’alimente au marché d’intérêt national ?

Si le MIN alimentait les commerces de Nantes (et seulement ceux-ci) en produits maraîchers, fournitures et en alimentation générale, l’éloignement de celui-ci par rapport au centre ville entraînerait probablement un coût environnemental plus important : la liaison avec le rail ne serait plus assurée et la distance entre le stockage intermédiaire et la livraison (dernier kilomètre) serait accrue. Or, le marché d’intérêt national fournit les commerçants de la région autant que ceux de Nantes. Son déplacement sur la bordure extérieure du périphérique - et donc dans une zone plus accessible aux commerçants extérieurs à Nantes - semble rationnel, dans la mesure ou le MIN induit un trafic routier important, en termes d’enlèvements ou de livraisons. Sortir de l’urbain ce qui ne l’est pas est légitime.

Consciente de cette nécessaire accessibilité du MIN, sa direction spécifie qu’elle n’acceptera d’ailleurs les termes du déménagement uniquement sous garantie de la construction d’une bretelle spécifique de l’infrastructure nouvelle au périphérique Nantais. Le seul élément à regretter ici est la disparition de la proximité avec le rail, qui aurait pu permettre des livraisons massives (les produits de « gros » étant massifiables) moins coûteuses à l’environnement.

Le reconversion du site

Enfin, l’Île de Nantes fera l’objet d’une tertiarisation massive. La ville souhaite créer 6600m² de nouveaux rez-de-chaussée commerciaux, conforter et améliorer l’offre de bureaux existante (27000m²), développer l’offre de tertiaire de haut niveau avec le pôle d’affaire international EuroNantes, créer plus de 60000m² de bureaux, de commerces, et d’hôtels, développer un pôle média, transformer le site Alstom en cluster d’activités créatives sur une emprise de 3,5ha, accueillir 40 entreprises créatives, et rassembler les entreprises, l’enseignement supérieur et la recherche autour de la création sur 100000m² et développer le CHU de Nantes sur 100000m² .

La ville compte donc œuvrer sur environ 300000m² - soit 30ha - pour la création ou l’encouragement d’activités tertiaires. Or, le commerce de détail est fortement générateur de flux de marchandises (Routhier et alii, 2001) et les zones de concentration d’emplois tertiaires et de bureaux sont elles-mêmes très consommatrices de messagerie express et de couses (Dablanc, Andriankaja, 2011). L’ensemble de ces flux engendrent un nombre considérable de livraisons et d’enlèvements que seul le trafic routier peut soutenir, du fait de la variabilité des produits tant que des horaires. La disparition des gros porteurs du MIN n’induira pas la disparition des camions. Ils seront probablement moins gros, mais nécessaires à ces multiples livraisons.

Dans une interview accordée par le directeur général de la Samoa, Jean-Luc Charles, à GAO communication, l’aménageur de l’Ile de Nantes spécifie être « une chance inouïe pour une agglomération d’obtenir 90 hectares urbanisables en centre-ville. » Dans les faits, c’est juste. Mais tout dépend de l’utilisation qu’on en fait. Disposer d’un foncier important dans le centre d’une agglomération constitue aujourd’hui une ressource rare pour les pouvoirs publics et une marge de manœuvre considérable. L’État, gestionnaire des terrains de la RRF, et la communauté urbaine de Nantes, gestionnaire du terrain du MIN cèdent une partie de ces terrains aux acteurs privés et en réservent une autre partie à la construction du CHU, de logements et du parc métropolitain.

Or il est légitime de poser la question suivante : quelles aurait pu être les autres utilisations de ces précieux terrains sous maîtrise foncière publique totale ? 

La conjoncture porte à croire que Nantes se développera considérablement dans les années à venir jusqu’à devenir une véritable métropole. De plus, et comme toute métropole, Nantes verra ses besoins en termes d’alimentation urbaine croître. Deux éléments paraissent donc faire défaut au projet actuel.

  • D’une part, une future métropole se construit en permanence, et rejette autant qu’injecte des matériaux lourds dans son système, ne serait-ce que pour construire et déconstruire. Ces mêmes matériaux, massifiables, peuvent tout à fait être injectés ou rejetés par voie ferrée. Actuellement, les matériaux lourds nécessaires aux constructions multiples en cours sur l’Île de Nantes sont acheminés par gros porteurs routiers. De quoi poser la question prégnance du diesel dans l’écométropole alors qu’il existe des possibilités de report modal pour transporter les ordures et gravats, à l’heure ou le secteur du BTP a des obligations nouvelles de recyclage de ses matériaux (FNAUT, 2011).
  • D’autre part, supprimer la possibilité d’acheminer par voie ferrée des matériaux en centre ville semble regrettable : les zones de triage/fret tendent à se faire rares dans les centres urbains, alors que les besoins ne cessent d’augmenter. La présence de pôles logistiques urbains est essentielle pour assurer l’alimentation « propre » de la ville (arrivage par voie ferrée, livraison par véhicules à gaz naturel ou à électricité). Ces mêmes besoins nécessitent de l’espace, et plus ces espaces sont centraux, plus l’alimentation se fait aisément (sans congestion) et écologiquement (moins de trafic routier).

En somme, il est important de mesurer que la présence d’un foncier disponible si gros dans une centralité si importante nécessite une réflexion large sur l’avenir du sol. En témoigne les exemples d’autres métropoles, comme Paris ou Lyon, qui regrettent l’absence de foncier disponible dans leurs centres urbains, et cherchent à en recréer à des prix peu abordables. L’idée sous-jacente est qu’il faut garder le foncier, et dans une logique de métropolisation, de le conserver pour de la logistique urbaine. Car le foncier, une fois perdu, est difficile à récupérer. Or, dans le cas de la ville de Nantes, qui souhaite voir construits des bureaux, un hôpital et un parc, cette dimension paraît assez effacée.

Le transport de marchandise

Une autre question nécessite d’être traitée, celle du transport de marchandises à destination de Nantes ou en provenance de Nantes (et donc avant enlèvement ou livraison). Dans le contexte évoqué ci-dessus (l’objectif du Grenelle de l’environnement, ou la part modale des transports non routiers devrait passer de 12% à 25% à l’horizon 2020), il est important de penser l’acheminement des marchandises dans les grandes villes. Rappelons qu’en 2010, et à l’échelle nationale, ce sont 88,9% des trajets qui sont effectués par voie routière, contre 8,8 par le fer, et 2,3 par le fleuve (SOeS, 2012). Nantes dispose d’un fleuve, et de voies ferrées. Qu’est-il possible de composer ?

La question du fluvial se pose par exemple à Nantes. La Loire - plus long fleuve de France - pourrait-elle être le support d’un développement fluvial du transport ? Les marchandises lourdes ne manquent pas : on produit dans la région de Nantes du sucre, des produits agricoles, du bois et des hydrocarbure. La raffinerie de Donges, deuxième plus grande après celle de Normandie, - d’un traitement de onze mégatonnes par an - accueille déjà des pétroliers à fort tonnage, étant encore située en zone maritime. Il est frappant de découvrir les rayons de camions citernes au pied de la raffinerie lorsque l’on connaît son accessibilité fluviale et ferrée.

Ceci pose la question de la navigabilité de la Loire. Cette dernière dessert tout de même d’Ouest en Est Angers, Tours, Blois et Orléans. Jusqu’en 1991, des pétroliers remontaient de Nantes à Bouchemaine, près d’Angers. Récemment, plusieurs expériences ont vu le jour, comme celle du Marfret, porte conteneurs qui avait tenté en 2009 de développer une liaison fluviale entre Cheviré (sous le Pont de Cheviré, tronçon du périphérique Ouest de Nantes) et Montoir (près de saint Nazaire). La compagnie maritime disait s’être heurté à une résistance des transports routiers, parlant de dumping. Il semblerait que la baisse des prix était plutôt du à la conjoncture économique. D’où l’envie de relancer le trafic fluvial de la part de la ville de Nantes, suite à la construction de l’A350, nouvel avion d’Airbus en créant des barges mixtes accueillant des tronçons d’avions (convoyés entre les sites Airbus de Bouguenais et de Montoir) mais aussi des conteneurs (Mer et Marine, 2012).

Certes, la liaison ne concerne que partiellement le fluvial, puisque l’estuaire constitue un cas particulier mêlant trafic maritime et fluvial, et donc ne concerne pas la Loire à proprement parler. Cela dit, l’exemple donne a réfléchir, puisque sont avancés les questionnements autour de la rentabilité, celle-ci étant corrélée à la distance parcourue. Dans cet exemple, ce sont seulement 50km qui sont effectués, et pour une marchandise très spécifique. Néanmoins les activités en cours indiquent la mise en place d’activités parallèles, en témoigne l’exemple de la société Alsei, souhaitant s’installer à Cheviré pour y développer une offre logistique importante afin d’acheminer des produits secs et des produits frais. Cette dynamique pourrait-elle s’étendre à une partie de la Loire ?

Il semblerait en premier lieu que sa navigation soit complexe, du fait de l’irrégularité de son débit et de sa profondeur. En second lieu, le coût moins important que représente le fer - et qui fut la raison d’arrêt du fluvial au profit du fer (Delsalle, 1993) - semble donner un argument de poids au non report sur du fluvial.

Si ce dernier n’est pas possible sur une large part de la Loire, le fer, lui semble être une piste plus compétitive et réalisable : partant du cœur de la ville, il lie la Ville de Nantes à Angers, au Mans, à Paris, à Tours et Orléans, etc. Pour l’exportation, il semble presque plus logique que la gare d’envoi des marchandises soit en bordure du périphérique, car plus accessible par les producteurs locaux. En ces termes, le site de l’ancienne Gare de triage du Grand-Blottereau semble alors se justifier, à la condition qu’il soit aménagé. Cependant, pour l’importation de marchandises, une gare centrale ne paraît pas négligeable, dans la mesure ou les livraisons dans l’agglomération peuvent être réalisées par des véhicules propres (électriques, au gaz ou non motorisés).

La question qui se pose alors est : que livre t-on ? Car c’est bien le produit transporté qui détermine le mode de transport, et non pas l’inverse. Par manque d’information, il est difficile de connaître tous les besoins de l’agglomération Nantaise. Ils sont probablement les mêmes que toute grande ville Française. Une chose est certaine cependant : puisque la ville suit depuis 30 ans le même processus qu’au niveau national, soit une désindustrialisation et une tertiarisation massive et qu’elle est sujette comme les autres villes à l’augmentation du e-commerce (entraînant des livraisons rapides et nombreuses et à des heures aléatoires), une gare de fret, et une plateforme logistique intermodale au cœur de l’agglomération permettant des livraisons par des véhicules à faible impact environnemental auraient été grandement bénéfiques au bilan carbone que la municipalité tient tant à mettre en avant.

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