Impulsé par Jean Blaise, le directeur du Voyage à Nantes, le projet Estuaire a vu, entre 2007 et 2012, une trentaine d’œuvres être installées à Nantes, à Saint-Nazaire, et sur les 60 km séparant les deux villes. Les différents enjeux généraux portés par ce projet, de même que les critiques qu’il suscite, sont analysés dans le compte rendu Culture et métropolisation. Pour notre part, nous nous concentrerons sur l’étude d’une œuvre d’art en particulier, à savoir la « Maison sur l’eau », à Couëron.
La « Maison sur l’eau » (ou « Maison dans l’eau », selon les articles consultés) qui est actuellement observable, est la réplique d’une première œuvre réalisée en 2007 par Jean-Luc Courcoult, le fondateur de la compagnie de théâtre de rue Royal Deluxe. Destinée à la première édition d’Estuaire, cette œuvre n’était pas destinée à durer. Elle a de plus coulé. Restaurée en 2012, elle se trouve aujourd’hui toujours au milieu de la Loire, œuvre devenue pérenne (pour plus de détails, cf. « Estuaire 2012 : l’art se jette à l’eau », L’Express, le 19/07/12)
Crédit photographique : Éloïse Libourel.
Un ouvrage qui transforme l’espace en paysage
Cette réinstallation pose la question de la fonction de l’œuvre dans le projet Estuaire. Pour la comprendre, nous pouvons citer Jean-Luc Courdoult décrivant son œuvre :
« Une maison dont les fondations, capturées par la vase, penchent légèrement, volets fermés, comme une épave inhabitée. Elle semble aussi solitaire que nous le sommes, de temps à autre, dans la nature. Image réaliste et poétique, concrète, secrète, silencieuse, cette maison endormie sur la Loire paraît être un tableau, une peinture en trois dimensions déposée dans le temps. Immobile. (…) C’est ça que j’appelle le réalisme imaginaire. « Réalisme » parce qu’il s’agit d’une réalité concrète, tangible, palpable, absolue. Et « imaginaire » parce que le but, c’est d’introduire le rêve dans la vie des gens. » (« La Maison dans l’eau », in Art contemporain, Voyages, le 17/06/12)
Cette citation évoque l’idée d’un espace transformé en un tableau. Ce processus semble s’inscrire dans la théorie d’Alain Roger (cité dans Sophie Bonin, 2001) quant à « l’artialisation » de l’espace. Il propose un schéma de passage du pays (un territoire qui n’est ni désigné comme paysage, ni support de valeur esthétique) au paysage. C’est par le truchement de l’art, que ce paysage se fait.
Ainsi, le processus de création du paysage repose sur une sorte d’ambiguïté, à savoir que le paysage est à la fois la chose et la représentation de la chose grâce à l’œuvre d’art. Cette idée s’applique tout à fait à la « Maison sur l’eau », qui est la réplique de la maison du port de Lavau-sur-Loire, mais qui, mise en scène au milieu de la Loire, comme posée sur l’eau, est transformée, ce qui fait s’interroger le public sur l’adéquation entre l’œuvre et son espace, et renouvelle le regard posé sur l’espace : il ne s’agit plus d’un lieu de l’estuaire parmi d’autres, sans raison particulière de s’y arrêter, mais du lieu où se trouve la Maison sur l’eau, qui est identifié comme tel dans les représentations du public.
La réception de l’œuvre d’art, une donnée essentielle qui explique la pérennité de l’œuvre
Dès lors, le succès de la démarche dépend de son appropriation par le public. Dans le cas de la Maison sur l’eau, on peut parler d’une réussite. Tout d’abord, l’œuvre est la reproduction à l’identique de la maison du port de Lavau-sur-Loire. Cette dernière a été réhabilitée et accueille désormais une crêperie et une librairie dans laquelle on trouve surtout des livres anciens. Selon la gérante du lieu, la dynamique impulsée par l’œuvre d’art explique en partie le succès de la fréquentation du restaurant. Selon elle, les personnes se sont appropriées les œuvres, et souhaitent voir ensuite le lieu véritable. Ce qu’elle affirme quant à l’observatoire peut donc également s’appliquer à la maison sur l’eau. Quand on lui demande s’il s’agit d’une œuvre d’art, elle répond oui, mais un art « dans lequel le paysage est aussi important que l’œuvre » (cf. « Estuaire 2012 : l’art se jette à l’eau », L’Express, le 19/07/12). L’œuvre d’art permet donc d’enclencher un processus de revalorisation plus générale de l’espace environnant. Il est d’ailleurs à noter que cet ancrage dans l’espace local est visible à travers les différentes étapes de la réalisation de la « Maison sur l’eau », confiée à une entreprise de l’estuaire, Armor-EMCC. Fondée après la Seconde Guerre mondiale, cette entreprise devenue filiale de Vinci Construction était destinée à renflouer les épaves qui encombraient les bras de la Loire. Elle a donc une connaissance intime de l’estuaire et de son histoire.
La « Maison sur l’eau » permet donc la mise en valeur d’un espace par sa transformation en paysage. Ce terme désigne un processus qui suppose la participation des visiteurs, qui se font du paysage ainsi créé une représentation partagée. On pourrait donc tenter de voir dans ce processus ce que Sophie Bonin décrit à propos du tourisme : il s’agit en effet « d’un rite collectif, sorte de pratique d’adoration qui permet à la société de se situer, de conforter son rapport au territoire, et finalement son identité » (Sophie Bonin, Op. Cit.). En cela, la mise en place de cette œuvre favorise donc l’émergence d’une identité commune aux habitants de la métropole Nantes-Saint-Nazaire, idée première du projet Estuaire.