D’emblée, il convient de voir comment l’art a été au cœur d’un processus de régénération urbaine du quartier de l’île de Nantes.
L’art au service de la redécouverte d’un territoire
Ce sont en effet les festivals temporaires, dont les plus percutants furent ceux du Royal de Luxe, qui se réapproprièrent et firent redécouvrir, certes de façon temporaire, les friches industrielles de l’Île de Nantes. Très récemment, la biennale d’art contemporain L’Estuaire, qui s’est déroulée en 2007, 2009 et 2012 conjuguée au Voyage à Nantes, parcours urbain estival marqué par de nombreuses œuvres d’art, ont tous deux favorisé l’Île de Nantes, la situant comme le centre de ces festivals.
Si les événements ont pu, dans un premier temps, porter un regard nouveau sur les friches urbaines que furent dans les années 1980 l’Île de Nantes, ce sont en revanche les œuvres d’art, pérennes cette fois-ci, qui ont été au cœur du processus de reterritorialisation de l’île.
L’Île de Nantes constitue en effet un espace désormais réinvesti par la population. Le fleuve borne ce territoire tout en créant une transition avec le reste de la ville et un lien entre la ville et l’aval de l’estuaire. La Loire est d’ailleurs mise en relief par les Anneaux de Buren.
Le point d’entrée dans ce territoire est constitué par la Galerie des Machines, lorsqu’on pénètre l’île depuis le pont Anne de Bretagne. L’Éléphant lui-même, à travers son itinéraire pluri-quotidien, est une façon de s’approprier, de manière symbolique et concrète, par le regard qui surplombe l’espace lorsque l’on grimpe dessus et par le déplacement, cette partie de l’île.
Les anneaux de Buren, un exemple d’installation urbaine devenue pérenne
Crédit photo : Eloïse Libourel
L’art au service du dynamisme économique et culturel du quartier
On s’aperçoit vite que le secteur artistique, dans l’île de Nantes, est porteur de dynamisme, notamment économique. En témoigne l’apparition, récente mais symptomatique, du « quartier de la création ».
L’art dans l’Île, c’est avant tout une manne touristique pour la municipalité. À titre d’exemple, Le Voyage à Nantes, en 2012, a permis un progression de 25% des touristes par rapport à l’année précédente : 600 000 personnes ont en effet visité la ville durant les festivités. Les Machines, quant à elles, avec une fréquentation croissante, ont atteint en mars 2011 le millionième visiteur. L’attractivité touristique a été renforcée en 2012 par l’ouverture du Carrousel des mondes marins.
L’Île de Nantes est donc un élément essentiel de l’activité touristique de la ville. Le lien avec l’art est omniprésent. En témoigne la Station Prouvé, œuvre d’art polygonale réhabilitée en 2007 en office de tourisme afin de promouvoir les festivals Estuaire et Voyage à Nantes.
La « Station Prouvé », à la fois œuvre d’art et office de tourisme chargé de promouvoir les festivals Estuaires et Voyage à Nantes
Crédit photo : Raluca Schumacher
La Fabrique de Nantes constitue un autre exemple particulièrement fécond pour montrer la porosité de la frontière entre l’art au service de la régénération urbaine et la culture comme secteur économique pour la ville (cf. Compte Rendu « Culture et métropolisation »).
Projet d’envergure – 28 millions d’euros -, la Fabrique est un ancien blockhaus remis à neuf avec un style architectural désormais futuriste dont émerge, depuis le 3ème étage, un bus comme en lévitation, le lieu se revendique volontiers comme un « laboratoire » de la création artistique – une SMAC, salle de musique actuelle – où s’y déroulent concerts, formation aux métiers de la musique, et expositions temporaires. C’est donc un art vivant – et inscrit dans le local – que prône un lieu devenu emblématique comme celui-ci.
« La Fabrique » : clé de voute du « quartier de la création ?
Crédit photo : Raluca Schumacher
L’Île de Nantes : un espace public ou de publicité ?
On peut néanmoins se demander dans quelle mesure l’art a-t-il été véritablement porteur de régénération urbaine. Celui-ci est en effet une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour redonner vie à un quartier.
Si l’art, mais aussi l’économie de l’art qui y est liée, ont conféré dynamisme et visibilité à l’Île, on peut néanmoins se demander s’il y a réellement eu production d’espace public, c’est-à-dire d’un espace marqué par des pratiques et des interactions quotidiennes fortes, qui en font un lieu de sociabilité (Paquot, 2009). Qu’il s’agisse de notre expérience sur place, ou encore des discussions que l’on a pu avoir avec des résidents de la ville, il semblerait que l’île demeure un espace encore relativement périphérique, bien que situé au centre. La fréquentation reste quasiment nulle les jours de semaine (comparativement au centre ville), le quartier de la création semble n’être, pour l’heure, qu’un campus esthétisé marqué par des migrations pendulaires. En revanche, l’Île des machines devient un haut lieu de sociabilité les jours non ouvrés et pendant les vacances scolaires. Ainsi, l’Île de Nantes semble pour l’instant un espace public incomplet, qui joue assurément le rôle d’un espace de publicité pour la ville et ses ambitions métropolitaines et européennes, mais pour lequel le lien avec l’urbanité du quotidien et l’inscription dans la ville reste encore à construire.
Une après-midi de semaine : l’éléphant effectue, seul, le tour de l’Ile de Nantes. Pendant les vacances ou les week-end, la foule se presse autour de l’éléphant.
Crédit photo : Raluca Schumacher
Ce n’est que le temps long qui dira dans quelle mesure l’art, considéré comme relevant autant d’initiatives individuelles que municipales, aura été à l’origine de ce renouveau urbain à l’échelle du quartier.