La Politique de la ville en France
La Politique de la ville trouve ses racines dans certaines procédures innovantes des années 1970 à destination des grands ensembles d’habitat social de l’après-guerre, et notamment dans la procédure Habitat et vie sociale (HVS) de 1977 qui en annonçait déjà certaines des principales orientations. Mais cette politique se structure et s’institutionnalise véritablement dans les années 1980, avec la création en 1982 de la Commission nationale pour le Développement social des quartiers (DSQ), suivie en 1989 par la mise en place d’une « politique de la ville et du Développement social urbain » (DSU), d’où elle tire son appellation actuelle. Cette politique de DSU débouche elle-même en 1994 sur l’instauration des Contrats de ville, qui ont longtemps constitué l’outil de base de la Politique de la ville (1).

La Politique de la ville a beaucoup varié dans le temps, tant dans ses objectifs et ses moyens que dans l’implication des gouvernements successifs à son égard. Elle présente néanmoins quelques caractéristiques fixes : elle porte systématiquement sur des quartiers « sensibles », marqués par une concentration de handicaps que l’on va chercher à corriger au moyen d’interventions de diverses natures. Celles-ci viennent, de façon dérogatoire, se cumuler aux interventions de droit commun qui concernent, selon un principe d’égalité, tous les territoires.
La Politique de la ville est donc constitutive d’une « discrimination positive territoriale » à l’égard des habitants des quartiers « sensibles » (2). Ses périmètres d’intervention sont définis selon un ciblage territorial plus ou moins précis, et sont en nombre plus ou moins élevé selon les programmes. La « géographie prioritaire » qui en découle connaît ainsi, de façon cyclique, une évolution « en accordéon », alternance d’extensions puis de recentrages vers les quartiers « vraiment » les plus en difficulté [Damon, 2005].
Cette politique a pour ambition, dès son origine, de se détacher de l’approche sectorielle qui avait caractérisé jusque-là les politiques urbaines. Elle se veut à la fois globale et transversale : globale, car elle entend conjuguer dans son action les dimensions économique, sociale, urbaine et sécuritaire (3) ; transversale, car elle cherche à favoriser la coopération entre les différents ministères concernés (4). Contemporaine du processus de décentralisation, cette politique favorise également, en opposition avec une gestion étatique-descendante des problèmes urbains, une définition ascendante-locale des interventions à mettre en œuvre. Fondée sur une contractualisation des rapports entre État et collectivités locales, une telle approche doit permettre de faire face, par sa plus grande flexibilité, à des situations et problématiques très diverses selon les quartiers.
Une nouvelle gouvernance urbaine ?
La Politique de la ville a souvent été présentée, à l’instar des politiques environnementales vis-à-vis du développement durable, comme une source d’expérimentations et d’innovations dans la définition d’une nouvelle gouvernance urbaine globale : sont notamment mises en avant dans ce cadre la nécessité de la négociation avec l’ensemble des acteurs impliqués, ainsi que la concertation systématique avec les populations. Mais l’efficacité de cette politique, dans sa phase « expérimentale » ouverte au début des années 1980, a été remise en cause au début des années 2000, celle-ci ayant été globalement incapable d’enrayer la dynamique négative touchant les quartiers sensibles (5). Ont notamment été pointés du doigt le manque de moyens financiers et le « saupoudrage » des crédits alloués, dû à une dispersion des organismes financeurs et à une trop grande décentralisation des processus d’attribution ; la complexe conciliation entre les différents acteurs locaux rendait également difficile l’élaboration de projets ambitieux.
La gouvernance de la Politique de la ville s’est heurtée à un problème de gouvernabilité, renforcé par l’imprécision des objectifs et l’inadaptation des dispositifs : le modèle urbanistique obsolète des grands ensembles a souvent été présenté, à tort, comme la source de l’ensemble des problèmes sociaux inhérents aux quartiers sensibles, masquant de fait un problème plus large de cohésion et d’intégration sociale, fruit de logiques ségrégatives.
Dans ce contexte, le PNRU, défini par la Loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003 (dite loi Borloo) (6), peut être considéré comme l’ouverture d’une nouvelle phase de recentralisation et de normalisation de la Politique de la ville, tout du moins dans sa dimension urbanistique : les plus hauts représentants des collectivités locales doivent désormais fédérer les multiples acteurs impliqués autour d’un Projet de rénovation urbaine (PRU), celui-ci devant correspondre aux grandes orientations d’un programme défini à l’échelon national, avant d’aller le défendre auprès d’un « guichet unique », l’ANRU (7) [Epstein, 2005]. L’ANRU est financée par l’État, l’Union des entreprises et des salariés pour le logement (UESL), organisme gestionnaire de l’Action Logement (anciennement « 1% logement »), l’Union sociale pour l’habitat (USH – anciennement Union nationale des fédérations d’organismes HLM), et bénéficie en outre de prêts aidés de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), ainsi que de subventions européennes.
Présenté lors de sa mise en place, comme la concrétisation du « plan Marshall pour les banlieues » promis par Jacques Chirac lors de sa campagne de 1995, le PNRU reprend en grande partie, avec néanmoins un changement notable de terminologie, les principes du Programme national pour le renouvellement urbain (PNRU), tel qu’il avait été élaboré en 1999 par le Comité interministériel des villes (CIV).
Mais, à la différence des Contrats de ville dans le cadre desquels s’inscrivait ce précédent dispositif, le nouveau Programme national de rénovation (8) urbaine (PNRU) concerne spécifiquement « les quartiers classés en zone urbaine sensible (ZUS) et, à titre exceptionnel, […] ceux présentant des caractéristiques économiques et sociales analogues » (article 6). Il opère donc un recentrage des périmètres d’intervention. Il vise à une transformation durable de ces quartiers et de leur image à travers l’amélioration de leur habitat et de leur cadre de vie, ainsi qu’à leur désenclavement en vue d’une meilleure intégration à l’agglomération dans laquelle ils s’inscrivent. Il œuvre également en faveur d’une plus grande diversité en leur sein dans tous les domaines – sociale (mixité), fonctionnelle, architecturale -, diversité qui passe également par une plus grande variété des statuts d’occupation (9)… Cela passe par une restructuration lourde de ces espaces, fondée sur "des opérations d’aménagement urbain, la réhabilitation, la résidentialisation, la démolition et la production de logements, la création, la réhabilitation et la démolition d’équipements publics ou collectifs, la réorganisation d’espaces d’activité économique et commerciale, ou tout autre investissement concourant à la rénovation urbaine » (Ibid.).
Le PNRU
Le PNRU présente également des objectifs chiffrés en matière de logement social : « pour la période 2004-2013, il prévoit une offre nouvelle de 250 000 logements locatifs sociaux, soit par la remise sur le marché de logements vacants, soit par la production de nouveaux logements sociaux dans les zones urbaines sensibles ou dans les agglomérations dont elles font partie (10). Il comprend également, dans les quartiers mentionnés au premier alinéa, la réhabilitation de 400 000 logements locatifs sociaux et la résidentialisation d’un nombre équivalent de logements sociaux et en cas de nécessité liée à la vétusté, à l’inadaptation à la demande ou à la mise en œuvre du projet urbain, la démolition de 250 000 logements, cet effort global devant tenir compte des besoins spécifiques des quartiers concernés » (ibid.). La loi Borloo met également en place le suivi des politiques appliquées en définissant une série d’indicateurs destinés à évaluer les écarts entre les quartiers défavorisés et leur agglomération. Elle crée à cette occasion un organisme chargé d’en suivre les évolutions : l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS).
Le PNRU est doté de moyens sans précédent : l’ANRU dispose d’une enveloppe budgétaire de 12 milliards d’euros pour la période 2004-2013 (11), destinée à subventionner des PRU dans le cadre de conventions pluri-annuelles, d’une durée de 5 à 10 ans, passées avec les collectivités locales. Le programme a finalement rencontré un grand succès auprès de ces dernières : le nombre de projets passés en Comité d’engagement s’élève, au 1er avril 2010, à 389 (dont 364 conventions définitivement signées, 111 rien qu’en Ile-de-France et 6 en Alsace), pour un montant global de 42,6 milliards d’euros de travaux (dont 11,5 milliards financés par l’ANRU). Mais alors que le plafond de financements de l’ANRU est déjà quasiment atteint, les objectifs chiffrés ne sont pas encore remplis : si les réhabilitations (311 000 logements programmés, soit quasiment 78% de l’objectif fixé) et les résidentialisations (335 000, soit 84%) sont en bonne voie, il n’en va pas de même en ce qui concerne la destruction (135 000, soit 54%) et la construction de logements sociaux (130 000, soit 52%) (12).

Les PRU ont parfois connu des difficultés dans leur conception et leur application, celles-ci étant souvent liées à un manque de moyens humains et à une absence de "culture de projets" et de coopération au sein de nombreux organismes – avec en première ligne les organismes HLM, maîtres d’ouvrage sur tout le volet social des opérations. Le grand nombre d’opérateurs mobilisés suscite également des problèmes de coordination pour les chefs de projet, avec en conséquence des dépassements de délais. Plus grave, l’ANRU pourrait bientôt rencontrer des problèmes de financement, l’État ayant du mal à tenir ses engagements en la matière (financer la moitié des 12 milliards promis à l’ANRU), et tendant à se décharger du poids financier du PNRU sur ses partenaires, et notamment sur l’autre grand contributeur qu’est l’UESL (Action logement) (13). 

Comment les PRU se traduisent-elles sur le terrain ? Comment les spécificités de chaque quartier sont-elles prises en compte ? Nous allons essayer de répondre à ces questions à travers l’exemple de deux quartiers sensibles strasbourgeois : le quartier Hautepierre et le quartier de la Meinau.
Notes
1. Les Contrats de ville disparaissent officiellement en 2007, remplacés par les CUCS, mais leur rôle avait, de fait, été minimisé dès 2004 suite à la mise en application du PNRU.


2. « Explicitement territoriale, implicitement ethnicisée », dit le sociologue-urbaniste Julien Damon, pour qui la Politique de la ville serait un moyen d’agir sur une « variable cachée » : les populations immigrées qui cumulent les handicaps et se concentrent dans les quartiers sensibles.


3. Les émeutes dans le quartier des Minguettes à Vénissieux en 1981 ont ainsi grandement contribué à accélérer l’institution d’une Politique de la ville conséquente ; de même, les émeutes de banlieues de 2005 expliquent sans doute le relèvement postérieur des objectifs et des moyens du PNRU. Outre ces évènements graves mais ponctuels, la Politique de la ville entend aussi lutter contre l’insécurité quotidienne qui touche parfois les quartiers sensibles. On désigne actuellement le versant urbanistique de cet objectif sous le terme de « résidentialisation ».

4. Volonté qui s’exprime à travers la création en 1988 du Comité interministériel des villes (CIV) et de la Délégation interministérielle à la ville (DIV) - aujourd’hui renommée Secrétariat général du CIV.
5. Entre les recensements de 1990 et 1999, les problèmes (notamment le chômage) se sont aggravés dans la grande majorité des Zones urbaines sensibles (ZUS).