Ce dossier a été réalisé par Edgar Brault, Florence Chilaud, Mathilde Beaufils, Sonia Dinh et Celia Innocenti
3. Fonctions urbaines, fonctions portuaires : une gestion qui reste différenciée
Des projets sont mis en place pour favoriser les contacts entre la ville et le port, par la mise en place, dans les Quartiers Suds, d’une interface ville-port, devenu un véritable outil d’aménagement. Ces projets visent à valoriser une mixité fonctionnelle en incorporant de nouvelles fonctions scolaires, résidentielles et récréatives dans les quartiers de Saint-Nicolas de l’Eure, Brindeau, Vallée/Béreult, Champs Barets et Les Neiges.
Carte 1
Fonctions urbaines et fonctions portuaires
dans les quartiers Sud avant le projet d’interface Ville-Port
Cependant ces projets encore partiellement réalisés, s’appuient sur des réalisations ponctuelles et parfois plus symboliques que fonctionnelles, et sont encore différenciés selon la fonction, urbaine ou portuaire, mise en avant. Cela nous mène à nous demander si ces projets d’aménagement visent réellement à valoriser les Quartiers Sud comme une zone de contact et d’interaction entre des fonctions différentes, ou si la notion d’interface est ici un outil de communication, servant des projets d’aménagements « classiques », différents selon l’objectif prioritaire.
Dans les discours de présentation des projets d’aménagement des Quartiers Sud du Havre, l’accent est mis sur l’entremêlement des fonctions urbaines et portuaires, afin de créer une véritable zone d’interaction fonctionnelle entre la ville et le port. « L’enjeu consiste aujourd’hui à continuer ce projet ambitieux de reconquête urbaine de 800 hectares d’interface ville-port tout en réunissant les conditions d’un développement durable et harmonieux des fonctions économiques, notamment portuaires ». Reconquête urbaine et fonctions portuaires vont de pair. Ainsi les projets lient volonté de développer des fonctions urbaines mixtes et des fonctions économiques à forte valeur ajoutée, notamment portuaires.
Des réalisations contribuent à la création concrète de cette interface ville-port, ici comme objectif urbanistique autour d’un triptyque fonctionnel, entre fonction résidentielle, récréative et universitaire. On pourrait citer plusieurs opérations d’aménagement comme la salle de spectacle "Docks Océanes", le Centre d’exposition "Docks Café", le Centre commercial de loisirs "Docks Vauban". L’installation de l’antenne havraise Sciences-po Paris est de même emblématique.
Le centre commercial des Docks Vauban
source : Mathilde Beaufils
Cependant le lien entre ces réalisations, relevant de fonctions purement urbaines, et le port est peut être parfois bien plus symbolique que concret. Cette identité portuaire est revendiquée, à travers la toponymie (« Docks »), l’architecture (par la reconversion effective des anciens docks en salle de spectacle, centre d’exposition et centre commercial, plus artificiellement, par l’ensemble de l’architecture de Sciences-po associant le bâtiment à un bateau, ou encore par la mise en place d’un ensemble de logements étudiants dans des conteneurs) et les discours. Le directeur de l’antenne havraise de Sciences-Po Paris a en effet mis l’accent dans ses discours sur le lien effectif existant entre l’antenne havraise de Sciences-po, centrée sur les études Asiatiques, et la ville du Havre en tant que ville portuaire tournée vers le monde.
Cependant, dans l’ensemble de ces réalisations, les fonctions mises en avant sont principalement urbaines et non portuaires. Ces projets semblent ainsi davantage correspondre à une extension de la ville sur le port qu’à la création d’une véritable zone de contact entre ces deux entités.
Logements étudiants dans des conteneurs
source : Mathilde Beaufils
De plus certains de ces équipements urbains des Quartiers Sud ne connaissent qu’un succès mitigé. Boris Menguy (entretien du 29/11/2014) explique en effet que le centre commercial Docks Vauban n’attire pas une clientèle suffisante par rapport à ce qui a été espéré et que les usages commerciaux des Havrais sont toujours concentrés dans le centre-ville.
Enfin, les projets mis en place pour favoriser les contacts entre ville et port sont toujours organisés à travers un zonage, qui sépare les projets selon les fonctions mises en avant. Ainsi les priorités ne sont pas les mêmes selon les projets, et plutôt que d’envisager la réalisation concrète d’une interface, les projets urbains semblent toujours séparer fonctions urbaines et fonctions portuaires.
4. L’emprise spatiale du projet d’interface : vers un renforcement de la discontinuité ?
Si l’avancée des fonctions urbaines sur le port est indubitable, mélangeant dans une certaine mesure fonctions urbaines et portuaires, les projets de la ville du Havre se situent toutefois d’un côté ou de l’autre d’une ligne qui sépare l’ancien site portuaire en cours de revalorisation et les quartiers résidentiels plus en retrait. Le projet d’interface change ainsi de nature selon les secteurs des Quartiers Sud couverts.
Côté port, les projets de valorisation urbaine s’adressent à des investisseurs ou une clientèle la plus large possible et orientée à l’international selon une logique de compétitivité et d’attractivité du site. La constitution d’un pôle d’enseignement sur la Citadelle, à l’extrémité ouest des Quartiers Sud, est particulièrement révélatrice de cette logique puisque les institutions implantées ou à venir hébergent toutes des formations supérieures (Sciences Po, Institut National Supérieur de la Marine, Institut Supérieur d’Etudes Logistiques, etc.) à destination d’une population qualifiée en contraste flagrant avec les caractéristiques des habitants d’un quartier qui comprend près de 50% de logements sociaux.
Côté ville, les opérations sont toutes de l’ordre de la réhabilitation ou rénovation d’un tissu résidentiel dégradé et relèvent d’une logique d’aménagement traditionnelle où chaque ensemble de logements fait l’objet d’un projet de revalorisation des bâtiments et des espaces publics environnants. Cependant, contrairement aux ambitions annoncées des aménageurs, ces projets (en particulier Champs Barets et Dumont d’Urville) ne semblent pas intégrer la dimension économique ni faire cas de la mixité activités-habitat. Le nouveau pôle éducatif et familial Molière qui regroupe deux écoles et des espaces périscolaires et de loisirs apparaît le plus en accord avec l’idée d’améliorer un quartier en déshérence. Néanmoins, il s’agit d’une opération ciblée qui ne concerne nullement l’interface et l’utilisation de ce terme semble destinée plutôt à véhiculer une image plus positive du quartier Saint-Nicolas de l’Eure comme d’un quartier à fort potentiel de développement, qu’à souligner des liens plus forts avec le port. Le projet Dumont d’Urville offre d’ailleurs, à l’échelle micro-locale, l’exemple d’un projet urbain qui ne pense pas le lien avec le port : les projets d’aménagement tournent résolument le dos au bassin Bellot.
La question des liaisons physiques et des transports est elle-aussi particulièrement significative : les deux nouvelles lignes de bus traversent ainsi la partie Est avant de bifurquer vers le centre-ville, sans passer par la partie Ouest qui apparait relativement isolée elle-aussi, à la fois des quartiers Est et du centre-ville dont elle est séparée par les différents bassins. Cette “insularité” de la partie Ouest explique peut-être le manque d’attractivité des bureaux récemment commercialisés autour du bassin de l’Eure. Par ailleurs, la liaison verte avec piste cyclable le long du quai de la Saône est encore inachevée et s’arrête à l’entrée des quartiers résidentiels.
Plus généralement, une promenade le long des Docks jusqu’aux Magasins Généraux frappe le visiteur par le changement de paysage entre des quais rénovés d’aspect plutôt chic et l’intérieur du quartier, visiblement pauvre et délabré. Cette observation est valable pour l’ensemble du quartier Saint-Nicolas de l’Eure : le contraste est très fort entre les abords des quais où les bâtiments sont neufs et haut de gamme et l’intérieur où le bâti a été ravalé ou réhabilité mais a gardé les formes caractéristiques des barres de logements sociaux des années 1960-1980.
Le paradoxe de ce projet d’interface Ville-Port est ainsi de mêler (dans des projets néanmoins distincts) les fonctions urbaines et portuaires sur sa partie ouest mais, au lieu de renforcer la continuité et les échanges – caractéristique première d’une interface au sens géographique – entre les parties est et ouest des Quartiers Sud, il semble accroître la coupure, fonctionnelle, sociale et symbolique, entre d’une part un espace concentrant des fonctions tertiaires et tertiaires supérieures et d’autre part un espace à dominante résidentielle dont la population, majoritairement constituée d’ouvriers et souvent en difficulté, n’est pas a priori directement concernée par les aménagements de la partie ouest.
Le projet d’interface ville-port havrais chapeaute de nombreuses réalisations portuaires et urbaines. Ces réalisations restent cependant ponctuelles et rarement liées les unes aux autres. L’aménagement d’un pôle d’excellence, qui accueille aujourd’hui trois écoles, semble être pour l’instant l’un des rares projets qui tente de répondre à l’ambition d’interface havraise, et ce de façon multiscalaire. Les Quartiers Sud accueillent aussi, notamment le long des bassins, des bâtiments à fonction récréative. Cependant ces réalisations ne concernent que la partie ouest des Quartiers Suds, la plus proche du centre-ville. L’Est des Quartiers Sud, espace essentiellement résidentiel, n’est pas compris dans cette interface de la ville et du port mais est laissé de côté ce qui crée une discontinuité importante qui ne peut que renforcer la fracture spatiale et sociale existante. Il est néanmoins malaisé de dire ce qui provoque ce déplacement de l’interface vers l’Ouest et cet oubli d’une partie des Quartiers Sud. Nous pouvons, en tout cas, constater que pour la première fois, la ville, le port et l’agglomération du Havre, ont signé, à l’automne, un protocole visant à assurer une réelle gouvernance de l’interface ville-port. Ce protocole qui a pour vocation d’assurer une “osmose entre les usages” (Protocole GPMH-VDH-CODAH) pour une meilleure interface reconnaît quatre objectifs - l’attractivité du territoire, la gestion domaniale, la gestion des flux et des mobilités et la réponse aux situations de risques - qui ne recouvrent pas vraiment la question de la discontinuité qui touche une partie des Quartiers Sud.
Bibliographie :
Brunet R., Ferras R., Théry H., Les mots de la géographie, Paris, La documentation française, 1993.
Groupe de recherche Interfaces, « L’interface : contribution à l’analyse de l’espace géographique », L’espace géographique, 2008, n°37.
Lévy J., Lussault M., Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, “Interface”, Paris, Belin, 2003.
AURH, Observatoire de l’immobilier d’entreprise n°18, bilan du marché 2013, octobre 2014
AIVP, Faire la ville avec le port. Quelles stratégies pour le redéveloppement des espaces de liaison ville/port ?, Le Havre p103-114, novembre 2007
http://www.aivp.org/wp-content/uploads/2012/04/Guide_PCP_AIVP2007_FR.pdf
Sitographie :
Atlas des affaires sociales et médico-sociales dans la région du Havre, http://www.esrifrance.fr/iso_album/100128_esri_sante_1_social_v2_100326_minimal_37s.pdf
Ville du Havre, rubrique “Grands Projets > Projets urbains > Quartiers Suds”, consulté plusieurs fois en novembre 2014, http://www.lehavre.fr/les-quartiers-sud
Sciences Po, rubrique “Campus du Havre”, consulté le 27 novembre 2014, http://college.sciences-po.fr/sitehavre/
Protocole GPMH, VDH, CODAH, http://deliberations.codah.fr/docs/pv/2014-07-03/DELB_20140247-01.pdf