À Lille, métropolisation et politique culturelle sont donc étroitement liées. Mais en quoi le projet culturel peut-il être vu comme outil d’aménagement urbain ?
Le pari de la culture
A Lille, le pari sur la culture est ancien et doit permettre de mobiliser la population autour de projets. C. Cullen, adjointe à la culture, nous présente la politique culturelle à Lille.
Elle hérite en grande partie des initiatives de l’ancien maire, Pierre Mauroy. Le théâtre, l’opéra, l’orchestre de Lille sont ses « œuvres ». Il s’agit pour lui de proposer une offre culturelle qui doit redonner fierté à une population ouvrière très touchée par le chômage, depuis les années 1970, tout en évitant l’écueil du misérabilisme.
Les initiatives prennent des formes très variées. Par exemple, les cours de musique sont obligatoires à l’école primaire, afin que les enfants puissent se familiariser avec la musique, mais aussi, s’ils le souhaitent, jouer dans des fanfares traditionnelles et réactualiser ainsi les racines ouvrières de la ville. D’autres initiatives sont prises par les employeurs avec près de 17% du financement des politiques culturelles provenant du mécénat privé.
La politique culturelle vise aussi à associer ceux qui ne sont plus salariés, comme les retraités et les chômeurs, à qui on propose des carnets, soumis à des conditions de ressources, qui permettent un accès au cinéma. Par exemple, une entrée pour le théâtre, une entrée pour une exposition d’art plastique et une pour l’opéra sont proposés pour 1,5€ la place. La volonté de faire payer les bénéficiaire afin que ceux-ci ne se sentent pas exclus et trouvent une certaine légitimité à fréquenter les lieux culturels, est clairement mise en avant par la mairie. Celle-ci cherche aussi à attirer les périurbains en organisant des navettes à destination de l’opéra.
Un succès populaire
Cette politique culturelle est un succès dont témoigne le classement de Lille comme ville d’art et d’histoire en 2004, contemporain de sa nomination en tant que Capitale Européenne de la Culture, ainsi que l’accession du musée des Beaux-Arts de Lille au rang de premier musée en terme de fréquentation en dehors de Paris. Les collections riches de tableaux contemporains, de l’époque industrielle (Rodin) comme pré-industrielle (Watteau et les peintres flamands) attire l’attention sur l’histoire de la cité, qui n’est pas uniquement industrielle.
Après Lille 2004, le budget de la culture a augmenté de 30% afin de ne pas laisser retomber les effets qu’avait entraînée le succès de l’opération. C’est au terme de cet événement qu’ont pu se mettre en place les « maisons-folies », toutes implantées dans les quartiers populaires et qui servent de relais à la culture dans les quartiers les plus populaires de la ville. L’offre culturelle est en effet vue comme le moyen de mobiliser la population autour d’un projet collectif.
L’exemple de ce qui s’est passé lors de Lille 2004, puis Lille 3000 et de ce qui est amené à se reproduire lors des JO de Londres, est assez édifiant. En effet, durant ces événements, les commerces se sont faits les relais des différentes expositions. C. Cullen citait l’exemple de magasins qui exposaient les photographies des habitants lors des expositions sur l’Inde. Plus de 17000 habitants, lors de Lille 2004, ont accepté de loger des artistes et certains ont même fini par en faire leur métier.
La gouvernance des projets est d’ailleurs assez atypique, compte tenu de la « solidarité particulière » qui existe à Lille et est sans doute non re-transposable ailleurs. Cette gouvernance est partagée entre les municipalités, les habitants (avec des conseils de quartier) et les acteurs de la culture stricto sensu.
Changer l’image de la ville
La politique culturelle doit concourir à changer l’image de la ville, ce qui doit permettre d’attirer des populations plus aisées et des activités à haute valeur ajoutée. Les activités culturelles peuvent aussi permettre à une population plus aisée, qui consomme massivement des produits culturels, de s’installer à Lille. La culture semble ainsi être un argument majeur avancé par les entreprises qui souhaitent installer là des bureaux et des cadres.
La culture elle-même est une activité qui permet de diversifier l’emploi à Lille et de valoriser les activités de services qui vont accompagner une progressive mise en tourisme de la Métropole. Selon C. Cullen, la culture a aussi permis le développement d’une centralité scientifique, autour notamment du domaine des jeux vidéos, autour des gares de Lilles Flandres et d’Euralille.
Culture et projet urbain
Les activités culturelles à Lille peuvent donc être un support du renouvellement urbain (Gravari-Barbas, Jacquot), tout en servant, à une échelle plus large, d’outil de légitimation au projet urbain tout entier.
La politique culturelle sert d’abord à valoriser la ville. En mobilisant la population par des campagnes de publicité, en montrant une autre image de sa ville, plus moderne, plus dynamique, la culture sert à promouvoir les quartiers et leurs habitants, qui peuvent ainsi retrouver une certaine fierté. Dans un contexte de compétition entre les villes qu’accélèrent les évolutions récentes du capitalisme (Gravari-Barbas & Jacquot 2007), les événements culturelles servent à promouvoir les intérêts de la ville à l’extérieur de celle-ci. L’article sur lequel nous nous appuyons, parle d’une politique d’image, qui sert à attirer les investisseurs en leur montrant des quartiers valorisés et en cours d’aménagement dans le cadre du projet. C’est ainsi qu’on peut comprendre la politique culturelle de Lille comme outil de l’aménagement.
Le but de l’événement est donc de fédérer et ainsi de justifier des changements urbains dans des quartiers dont la légitimité augmente. Mais au-delà de l’événement, il s’agit de pérenniser les acquis, pour éviter que leurs retombées restent éphémères. Lille essaye de rebondir d’un événement à l’autre en se portant candidate à d’autres événements, ce qui permet de conserver la structure politique planifiant les projets. La structure « Lille 2004 » devient ainsi « Lille 3000 ». Elle conserve les mêmes compétences et le même personnel, composé d’élus mais aussi d’experts économiques et de l’aménagement. Cela permet de profiter des effets de relance d’une manifestation culturelle d’ampleur pour en programmer d’autres et augmenter la visibilité et l’attractivité de la ville, notamment en lui donnant un cachet international en programmant par exemple une manifestation sur le thème de l’Inde.