Présentation par Lucie Moreau, directrice de projet de rénovation urbaine. Visite du quartier par Halima Hamoussa, chef de projet du volet urbain.
Mis en chantier au début des années 1970, le quartier Hautepierre était un projet novateur, dans un contexte de crise progressive des grands ensembles, tels qu’ils ont été construits après la guerre. C’est l’un des grands exemples français de l’utopie des grands ensembles qui a marqué la décennie des années 1970. Portées par une nouvelle génération d’architectes et d’urbanistes, des réflexions novatrices sur le « vivre ensemble » donnent naissance à une organisation en mailles hexagonales, en « nid d’abeilles ». L’objectif est de créer des villages dans la ville, des mailles d’au maximum 3 000 habitants, pour retrouver une échelle qui permette de créer du tissu social. Pour Pierre Vivien, l’un des architectes qui a dessiné le quartier, c’est une rupture avec les grandes cités linéaires des deux décennies précédentes.
Quarante ans après le début de sa construction, le premier grand projet de renouvellement du quartier est en cours. C’est l’occasion de faire entendre les nouvelles aspirations des habitants, mais aussi de percevoir la forte identité du quartier.
Le quartier
Hautepierre est un quartier à l’ouest strasbourgeois, édifié à l’époque en limite de commune. Sa construction, décidée dans les années 1960 dans le cadre d’une Z.U.P. (Zone à Urbaniser en Priorité), s’est étalée jusqu’au milieu des années 1980. L’urbanisation s’est ensuite déplacée vers le quartier des Poteries, revenant à des conceptions plus traditionnelles du quartier, en îlot. Hautepierre est donc un quartier atypique de Strasbourg, défini par une organisation et une géographie très spécifiques.
De plus, c’est un quartier particulièrement bien délimité, au sud par l’autoroute A351, au nord par le quartier de Cronenbourg et la D41, à l’est par le CHU et les voies de chemin de fer.
Cela a permis le développement d’une identité de quartier assez marquée, mais est aussi parfois ressenti comme un enclavement, une mise à l’écart de la ville. Une partie du projet de rénovation urbaine s’attache donc à fluidifier circulation et communication avec les quartiers adjacents, ainsi qu’avec le centre-ville.
Hautepierre est constitué de 8 mailles hexagonales. 13 étaient prévues au départ, mais le projet a été réduit suite à des restrictions budgétaires liées à la crise pétrolière de la fin des années 1970. Trois de ces mailles sont consacrées à des services et activités : celles du CHU (Centre Hospitalier Universitaire), du centre commercial et du parc de loisirs. Les cinq autres ont une fonction principale de logement, avec en cœur de maille des équipements publics (école maternelle, école primaire, gymnase...). On peut lire dans cette organisation l’héritage des cités-jardin et de la logique fonctionnaliste dans l’urbanisme de la fin des années 1960. Les fonctions d’habitat, de loisirs, de transport, etc. sont dévolues à des espaces différenciés, alors qu’une part importante est laissée aux espaces verts.
Au départ, dans le contexte des Trente Glorieuses, les transports sont pensés quasi exclusivement autour de la voiture. Les mailles ont des angles de 120 degrés, de sorte que la vitesse des voitures soit constante, à environ 60 km/h. Il n’y a pas de feux et la circulation se fait principalement à sens unique, pour favoriser la fluidité. Des voies permettent ensuite de pénétrer à l’intérieur des mailles : ce ne sont que des impasses, destinées au stationnement des voitures. A l’intérieur de la maille, on se déplace à pied, ce qui permet aux bâtiments d’être intégrés dans des espaces verts.
Le tram a été aménagé dans les années 1990. On est désormais en un quart d’heure à la gare de Strasbourg, ce qui contribue à atténuer le sentiment d’isolement et d’extériorité à la ville.
Alors que les voies ont reçu en très grande majorité des noms d’écrivains et poètes (de Pétrarque à Dostoïevski, en passant par Montaigne, Shakespeare et Claudel), les mailles portent des noms de femmes : Éléonore et Catherine (construites entre 1969 et 1971), Jacqueline (1969-1973), Brigitte (1973-1975) et Karine (1973-1981).
Cependant, Hautepierre est en grande difficulté et a l’une des plus mauvaises réputations de la ville. Il est classé en quartier prioritaire (catégorie 1) pour l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU). Il fait également partie des 25 quartiers classés difficiles par le Ministère de l’intérieur. Il souffre notamment d’un manque de mixité sociale important. Les médias, ponctuellement mais régulièrement, s’emparent des problèmes de délinquance ou d’économie souterraine, ce qui enferme le quartier dans une image de violence et de mauvaise fréquentation.
Parmi les autres caractéristiques sociales, on peut citer la part importante des moins de 20 ans, les taux élevés de familles nombreuses et mono-parentales, le fort taux d’activité féminin, mais aussi un indice de chômage élevé (particulièrement dans les mailles Karine, Jacqueline, Catherine), une forte population ouvrière et immigrée. Le taux de logements sociaux est élevé : dans l’ensemble du quartier, le logement se répartit entre 67% de logements sociaux conventionnés et 26% de copropriétés.
Le quartier est classé Zone Franche Urbaine depuis janvier 2004. Le projet ANRU a été lancé fin 2006.
La concertation
Pour les responsables du projet ANRU, il n’était pas question d’amener devant les habitants un projet complet et définitif. Il a donc fallu rassembler des interlocuteurs du quartier (appelés « forces vives » par les aménageurs) pour leur présenter un pré-diagnostic et en discuter avec eux. Par la suite, à partir de leurs propositions et contributions, l’urbaniste a retravaillé le projet, qui est revenu devant la population pour une nouvelle phase de concertation.
Durant les premiers forums de concertation, à l’été et l’automne 2008, 900 personnes ont donné leur avis et participé au débat, d’après la Communauté Urbaine de Strasbourg (CUS). Cela prend en compte à la fois les rencontres et les contributions écrites (grâce à la mise en place d’une adresse mail dédiée, projet.renovation.urbaine-hautepierre chez cus-strasbourg.fr). Plus de 300 personnes ont participé à une réunion publique. Pour 40 d’entre elles, il y a eu des temps d’échanges personnalisés.
C’est à la fois beaucoup et peu (pour des mailles qui chacunes représentent environ 3000 personnes). En réalité, il est difficile de toucher les habitants. Ils peuvent avoir peur de ce genre de réunion publique, ne pas se sentir concernés, ou bien simplement ne pas avoir envie de se déplacer. Finalement le choix entre les différentes variantes se fait avec un groupe d’habitants investis dans le projet. À Hautepierre, un des acteurs a notamment été l’Association des Résidents de Hautepierre (ARH). Cette association a été créée en 1989 pour améliorer le cadre et les conditions de vie, et organise différentes activités et animations, en partenariat avec le Centre Social et Culturel, les collèges et lycées, etc.
Pour faire connaître le projet ANRU, la CUS s’est appuyée sur un réseau d’interlocuteurs locaux. Il y a par exemple eu des rencontres dans les lieux de sociabilité du quartier : à la mairie de quartier, dans les collèges, dans un lieu d’accueil Parents Enfants. Les responsables du projet ont participé à la fête de quartier, sont allés à la rencontre des gens sur les marchés.
Ils ont aussi organisé des événements, expositions à la bibliothèque et au Centre Socio-Culturel, « ateliers espaces partagés » au sein de chaque maille, opérations en lien avec les associations culturelles de quartier, etc.
Le projet HTP40 (pour les 40 ans de Hautepierre) a par exemple été mené en partenariat avec l’association strasbourgeoise Horizome. Présenté comme un projet de recherche transdisciplinaire en art, anthropologie et architecture, il a été l’occasion de travailler avec des artistes et des jeunes des différentes mailles, de réfléchir sur la mémoire du quartier. Parmi les réalisations, on peut notamment citer de nombreux happenings, dans le cadre de résidences d’artistes, ainsi que l’exposition dans la ville « Mailles Story », lancée en décembre 2009.
Comme le projet ANRU vient d’être validé (décembre 2009), il reste encore la partie de suivi et de concertation pendant les opérations. Il est important de faire remonter les avis des habitants aux maîtres-d’œuvre au fur et à mesure, pour apporter des modifications au plus vite s’il en est besoin, et s’assurer de la satisfaction des habitants.
Le projet est pourtant loin de faire l’unanimité. Des associations ou personnalités du quartier (par exemple certains responsables de l’ARH) critiquent notamment la révision des voies de circulation (cf partie suivante). On retrouve ici une dimension très politique de l’aménagement, puisque ces tensions et oppositions recoupent le plus souvent les critiques de l’opposition envers la gestion de la ville dans son ensemble.