Présentation et visite du quartier par Etienne Jost, directeur du projet de rénovation urbaine.
Le quartier de La Meinau a été inscrit dans le cadre du PNRU, défini par Etienne Jost, directeur du projet de rénovation urbaine, comme une "fédération de politiques urbaines d’intervention, d’ambition globale et transversale, à destination de quartiers sensibles, présentant des problèmes d’urbanisme ou/ et des problèmes socioéconomiques". Dans la classification des projets ANRU, La Meinau, comme Hautepierre, est classé dans les quartiers I, c’est-à-dire les plus prioritaires. Ils totalisent à eux deux 65% du budget de l’ANRU dévolu à la communauté urbaine de Strasbourg. Cronenbourg et Ingolsheim rentrent en catégorie II, et ne représentent déjà plus que 25% du budget. La catégorie III a également été utilisée dans la communauté urbaine, mais elle se limite à des aménagements ponctuels.
L’étude comparée de ces projets, à l’échelle de l’agglomération, montre la variété des solutions apportées dans le cadre de l’ANRU. Contrairement à Hautepierre, le projet de rénovation urbaine de La Meinau est moins orienté vers la réhabilitation. S’il repose sur les mêmes objectifs, réduire "la fracture sociale" et la "coupure ville/banlieue" à l’échelle de l’agglomération, apporter un remède au mal-de-vivre et au mal-vivre dans les banlieues, le projet de La Meinau-Carnadière prône une intervention plus radicale, et inclut nombre d’interventions lourdes, de destruction. Ce choix s’explique en grande partie par la dissemblance du bâti (1). Si les deux quartiers sont souvent associés dans l’imaginaire collectif comme des "banlieues difficiles", en marge de l’agglomération strasbourgeoise, elles relèvent d’un urbanisme assez différent. La cité de la Canardière est un grand ensemble de la première génération, érigé dans les années 1950-1960. C’est en partie contre ce type d’urbanisme, ou du moins en tentant d’en résoudre les faiblesses, qu’est érigé le quartier Hautepierre, avec sa structure très novatrice, en nid d’abeilles.
Une opération de rénovation ciblée pour un quartier stigmatisé
Entre zoning urbain et enclavement ressenti
Le quartier de La Meinau excède la notion de zone sensible ciblée par cette nouvelle forme de politique de la ville qu’est l’ANRU. Elle compte en effet la Plaine des Bouchers, plus grande zone industrielle de Strasbourg, le secteur des villas, quartier résidentiel attractif, le plus recherché après le quartier des institutions européennes, et la Canardière, le plus vieux des grands ensembles de la périphérie de Strasbourg. Cette dernière partie de la Meinau apparaît clairement en décrochage. Elle est strictement délimitée dans le tissu urbain : l’avenue au nord, puis le tram, les espaces verts au sud, la zone industrielle au nord-ouest créent des effets de coupure par rapport au reste de l’agglomération. L’enclavement géographique se double d’un enclavement social.
Tandis que le quartier des villas abrite une population de classe moyenne à aisée, la Carnadière compte un grand nombre d’habitants bénéficiant des minima sociaux et concentre les problèmes socioéconomiques. D’une grande homogénéité sociale, la majorité des habitants forment une population ouvrière, immigrée ou issue de l’immigration, venue s’installer dans les années 1960, au moment de l’essor de la zone industrielle. Fixée à La Meinau, elle y est restée : la majorité des habitants n’a jamais déménagé, et il n’y a pas eu de régénération du quartier par l’implantation de nouvelles populations.
Au-delà des limites géographiques ou des critères statistiques, cet enclavement est donc un enclavement ressenti. Il l’est de l’extérieur, dans la mesure où La Carnadière est stigmatisée comme foyer de violences urbaines. Le quartier a fait sa réputation, largement répercutée par les médias, sur les émeutes urbaines de la fin des années 1990. Il l’est surtout de l’intérieur, les habitants consultés font état de leur mal-être, évoquant l’absence d’horizon et d’avenir, qui s’arrête aux limites du quartier.
Un urbanisme de grand ensemble
Achevé en 1957, le quartier est composé de logements à loyers peu élevés, répartis entre les logements de la SIBAR (outil du Conseil général), de locatif privé (souvent des fonctionnaires retraités au niveau de vie moyen), et enfin, de CUS-Habitat, le bailleur social de la communauté urbaine (2). Une certaine hétérogénéité des niveaux de vie existe donc au sein de l’ensemble, ce qui ne va pas sans générer certains conflits. Au Sud, plus on s’éloigne de la SIBAR, plus l’inactivité et la pauvreté augmentent, au point d’atteindre 27% de chômage. Le quartier s’est construit sur le principe du zoning, tel qu’il est porté aux nues par les urbanistes du début des années 1960 : si l’espace est massivement occupé par des logements, des parcs complètent le quartier au Nord et au Sud, le long de l’ancienne gravière ; de même, les équipements scolaires sont situées en bordure de zone, elles devaient jouer un rôle d’interface. Au total, le quartier compte 10% d’espace verts, et est situé à 10 minutes en voiture du centre-ville : on retrouve là les traits typiques du premier urbanisme d’après-guerre. C’est un urbanisme de barres, comportant chacune 70 logements, accompagnées de 3 triplettes, petit collectif de moindre effectif, avec 40 logements, et de tours - fleuron de cette nouvelle conception de l’architecture urbaine, celles-ci seront présentées au grand prix de Rome. Ces logements sont tous construits sur le même plan : ce sont des T3, d’environ 45 m². Symbole de confort et de modernité au moment de la reconstruction, ils ont mal vieillis, et ne sont plus adaptés aux normes actuelles (3). De surcroît, le Sud du quartier s’est achevé avec moins de crédits. Le béton y est plus pauvre, le bâti de moindre qualité et les équipements réduits à la portion congrue.
Les interstices entre les immeubles relève moins d’une logique d’espace public que d’une conception d’espace commun, ou collectif. Il appartient en effet au domaine privé des bailleurs, chargés de l’entretien des rues, de la voirie en général (sortie d’immeubles, parkings, trottoirs), et des squares. Il n’y a que 5% d’espaces publics, contre 25% en moyenne à Strasbourg. Ces charges, très lourdes pour le bailleur, se répercutent sur les habitants. La situation est vécue comme une injustice, puisque les habitants, en plus de leurs impôts locaux, ils payent des charges supplémentaires directement aux bailleurs.
Le projet de rénovation urbaine s’inscrit donc une logique d’équité socio-territoriale : il a pour ambition de mieux intégrer le quartier au reste de l’agglomération, et de le dynamiser localement par l’implantation de commerces et par l’animation de la vie de quartier, et de remédier aux problèmes d’inéquité - mettre l’habitat social aux normes actuelles de confort, au nom d’un égal droit au confort, rééquilibrer la part d’espace public et d’espace commun. C’est aussi tenter de réinventer un type de vivre-ensemble, qui ne soit plus seulement celui d’un quartier stigmatisé comme un grand ensemble, l’espace des bailleurs sociaux, mais au contraire, insister sur l’effort collectif, et la solidarité à l’échelle de l’agglomération. Dès lors, la logique de discrimination territoriale positive relève d’une démarche de péréquation, qui vise en fin de compte à réintégrer la cité dans la Cité.
Le projet ANRU, le choix d’une intervention lourde
Un projet ambitieux
Le projet de rénovation comporte plusieurs volets. Il doit d’abord intervenir sur l’habitat, par des démolitions-reconstructions, des réhabilitations, et développer la résidentialisation et la diversification des types de propriétés, notamment en introduisant dans un secteur à forte proportion de logement social du locatif privé. Il cherche ensuite à accroître la cohérence des espaces publics, une fois mis aux normes. Enfin, il intervient sur les équipements publics, par leur mise en conformité, la dynamisation du réseau associatif et le développement des commerces. Mais il y a également une dimension humaine à prendre en compte, avec la question des relogements, en cas de destruction. Le site est occupé par 10 000 habitants.
À une échelle plus large, il s’agit de mieux relier le quartier au centre-ville. En effet, les urbanistes avaient tablé sur la proximité avec le centre-ville, grâce à la voiture. Mais il s’est avéré que beaucoup d’habitants du quartier n’en possèdent pas. Dès lors, l’un des projets est à terme de ramener le tramway en cœur de quartier, d’ici dix à quinze ans, pour l’instant, la desserte est assez périphérique, elle concerne surtout le quartier des villas. On retrouve ici le volet de politique des transports comme moyen de cohésion territorial, déjà employé à Hautepierre. Le désenclavement du quartier passe aussi par le renforcement des liens avec les quartiers périphériques voisins, et notamment, le Neuhof - il s’agit de gommer les travers du système centre-ville dynamique/périphérie marginalisée. A l’échelle de l’agglomération, le modèle de métropole équilibrée est le maître-mot de la politique de la ville.
Des aménagements lourds
Le projet repose donc sur une série d’aménagements lourds, avec la destruction de 565 bâtiments, mi-tours, mi-barres, la reconstruction de 1500 logements, et le réaménagement de 10 km de voirie. Le projet s’appuie sur les espaces publics les plus porteurs, à partir desquels il cherche à insuffler une dynamique au quartier. Il doit réaménager la place de l’Ile-de-France dans le secteur de la SIBAR, le mieux entretenu, mais envisage parallèlement d’aménager son pendant au Sud, afin d’équilibrer les équipements entre les différentes parties du quartier, et pour structurer la zone la plus marginalisée. Les places publiques doivent jouer un rôle d’animation et de convivialité, ce sont les fleurons d’une nouvelle vie de quartier. Etienne Jost souligne d’ailleurs l’importance des détails concrets : la place de l’Ile-de-France reste la base de la vie de quartier, et les nouveaux espaces créés peinent à être utilisés. Il s’agit tout autant d’un effet d’habitude que de l’absence d’arbres assez vieux pour faire de l’ombre sur la place nouvellement créée.
L’autre du réaménagement de ces espaces de vie est le maintien des commerces de proximité. Le centre commercial menacé de faillite a été maintenu grâce à des aides publiques. Des petits commerces ont été réimplantés ou rachetés (PMU, tabac, boulangerie). Les équipements collectifs doivent parachever ces tentatives de dynamisation, avec l’installation de crèches collectives et de jardins d’enfants, mais aussi avec la création d’un EHPAD et de locatif pour les personnes âgées. Il s’agit ici moins de dynamisation par l’activité économique ou la création d’emploi, qu’un modèle de solidarité, entre les différents âges de la vie.
En termes de vitalité économique, la question reste donc entière, d’autant que la pérennité de ces petits commerces reste en suspens. Mais la construction d’un vivre-ensemble ne passe pas seulement par des aménagements urbains. La disparition de la police de proximité a accentué le clivage entre le quartier et l’extérieur, et a contribué à augmenter les tensions : les rapports entre les forces de l’ordre et les habitants se résument à des rapports de conflictualités (répression des trafics, heurts avec les bandes…).
Notes
1. Il s’agit de deux générations différentes de grands ensembles, cf. Dominique Badariotti, « Des fractales pour l’urbanisme ? Quelques pistes de réflexion à partir de l’exemple de Strasbourg-Kehl », Cahiers de géographie du Québec, vol. 49, num.137, septembre 2005, p. 133-156. « Les grands ensembles des années 1950 à 1970 sont constitués de quartiers à barres et à tours, typiques des banlieues d’habitat social. À Strasbourg, on note la présence de deux générations de quartiers de cet ordre. La première génération correspond aux cités très homogènes des années 1950 et 1960, dont la cité de la Canardière, à la Meinau, est un exemple typique. La seconde génération comprend des quartiers plus complexes, réalisés dans l’idée des villes nouvelles, et qui présentent une variété de formes architecturales et urbanistiques plus importante ainsi qu’une population plus variée : le quartier de Hautepierre est notre étalon pour cette seconde génération ».
2. CUS-Habitat gère 22 000 logements sur l’ensemble de l’agglomération, mais 10 000 demandes de logement restent encore insatisfaites.
3. Aujourd’hui, un T3 représente une surface de 58 à 65 m².