On ne protège que ce qui a de la valeur. Or comment juger de la valeur d’un espace ? A l’aune de quels critères ?
La naturalité des hautes-chaumes en question
À la suite des travaux scientifiques menés au cours du 20ème siècle, et en particulier dans la lignée de Carbiener, les hautes-chaumes ont été divisées en deux catégories : les hautes-chaumes primaires, d’origine naturelle, et les hautes-chaumes secondaires, d’origine anthropique. Cette vision tend à être contestée par les travaux contemporains qui affirment le caractère anthropique des chaumes primaires. Celles-ci résulteraient en effet de défrichements anciens, menés dès l’Age du Bronze [Goepp, 2007].
Par conséquent, la naturalité des hautes-chaumes primaires est un fait contestable. Cependant, la distinction chaume primaire/secondaire continue d’être présente dans les discours des acteurs du territoire et le caractère naturel des hautes-chaumes reste un argument fort pour justifier la protection de ces espaces. Cela signifie-t-il que ces espaces ne présentent aucun intérêt naturel, ou du moins naturaliste ?
Un patrimoine biologique
Au-delà de la question de leur origine naturelle ou anthropique, c’est bien plus leur patrimoine biologique remarquable qui, dès le 19ème siècle, a conduit à la renommée des hautes-chaumes vosgiennes. [PNRBV, 1999] En effet, si les principales espèces présentes sur les hautes-chaumes sont des espèces favorisées par le pastoralisme, telles le nard, la fétuque rouge ou la fétuque ovine, ces espaces se caractérisent par la présence d’espèces rares ou reliques (Saule bicolore par exemple).
C’est par exemple la découverte la découverte en 1820, au Kastelberg, de la Bruchie des Vosges, par le médecin Mougeot, qui a lancé l’engouement des botanistes et des touristes pour ces espaces. De même, des espèces typiques des pelouses alpines telles la myrtille, la callune, la pulsatille blanche, l’arnica ou encore le fenouil des Alpes contribuent à la diversité floristique des hautes-chaumes et des Vosges en général.
Un patrimoine culturel
En corollaire du patrimoine naturel, l’héritage culturel est également mis en avant [PNRBV, 1997], L’utilisation traditionnelle des pâturages de montagne dans le cadre d’une transhumance estivale, le réseau des granges de montagne (Barischira) et des marcairies, le personnage du marcaire (ou chaumiste) ainsi que les produits de l’estive (notamment le Barikas, fromage confectionné dans une fromagerie attenante au bâtiment d’habitation) contribuent à la vigueur d’un imaginaire historique et à l’affirmation d’une identité territoriale. Ce processus est déjà ancien puisque, dès le 19ème siècle, les marcaires trouvent un appoint financier non négligeable en développant une activité de ferme-auberge à destination des touristes de passage [Marthelot, 1952]. Cette activité perdure aujourd’hui.
C’est donc sur un double volet, naturel et culturel, que se fonde la richesse et l’intérêt des hautes-chaumes. Et même si l’on peut, à juste titre, arguer du caractère artificiel et construit de cette richesse et de cet intérêt, ils n’en demeurent pas moins une réalité pour les acteurs du territoire. Or, dans un contexte d’abandon des pratiques pastorales et de reconquête par la forêt de certaines parties des hautes-chaumes, mais aussi de dégradation des espaces du fait de la fréquentation humaine, l’on peut comprendre que des politiques de protection et de mise en valeur aient vu le jour.